L’accroissement inéluctable du nombre de seniors conjugué au désir légitime de bien vieillir, notamment dans un « chez soi », met en lumière les métiers de l’aide à l’autonomie.
De quels métiers s’agit-il ? Comment vont- ils évoluer : Dans leur contenu et leur perception ? Dans quel environnement (habitat, technologies), pouvons-nous en construire une vision commune, positive et susceptible de générer des vocations ?
Extrait de la Conférence de clôture, qui s’est déroulée à Silver Economy Expo, le mercredi 24 novembre 2021
Le nombre des seniors augmente considérablement, les baby-boomers sont devenus les papy-boomers et ils sont très nombreux. Ces personnes ont l’envie de vieillir chez elles, de rester à domicile, c’est 80% d’entre elles, et dans ce contexte les métiers de l’aide à l’autonomie, du maintien à domicile sont des métiers fondamentaux.
Que représente les métiers de l’aide à domicile et en quoi sont-ils importants ?
Elise Richard
Pour certaines personnes, les aides à domicile ce sont simplement les personnes qui vont effectuer le ménage à domicile, chez des personnes âgées ou pas d’ailleurs, mais c’est bien plus que ça. Et souvent les professionnels du domicile souffrent de cette image un peu dévalorisée qu’elles ont, alors qu’elles exercent un métier profondément humain, porteur de sens et qui va bien au-delà évidemment juste des tâches ménagères ou de l’aide à la toilette. Elles vont être là pour accompagner tous les actes de la vie quotidienne, elles peuvent aussi alerter quand elle remarque qu’une personne perd un peu de son autonomie, donc prévenir les proches. Donc ce sont des métiers qui sont essentiels, et il faut évidemment davantage communiquer là-dessus pour qu’ils soient davantage valorisés.
Michèle Debonneuil
Il y a trois raisons qui montrent que ces métiers sont dévalorisés et qui expliquent qu’ils le sont. Le premier, j’ai évoqué le sexisme, les métiers de femme ne sont pas traités dans notre société comme les métiers d’hommes.
Le deuxième, c’est l’âgisme. Dans une société où on dévalorise notre propre vieillissement ; passé le cap des 40, 50, 60 ans, on voit bien que c’est un drame pour beaucoup de gens. Quand on dévalorise les vieux et a fortiori les très vieux, on ne peut pas valoriser ceux qui travaillent pour eux. Il faut donc prendre conscience de l’âgisme. Le troisième élément, au-delà de la dévalorisation de ces métiers et de ces femmes, c’est le niveau de rémunération. C’est un pur scandale dans un pays comme le nôtre. Mesurons bien qu’il y a eu quelques améliorations
Pascal Champvert
Mesurons bien qu’aujourd’hui, tout le secteur de l’aide aux personnes âgées, y compris les établissements, toute la politique de l’aide aux personnes âgées ne tient que parce que les professionnels du domicile sont sous-payés. Ces professionnels ne sont pas estimés, parce qu’ils sont perçus au mieux comme des gens qui nettoient les fesses des vieilles dames ou pour des gens qui font le ménage. Et tant qu’on enfermera ces professionnels là-dedans, ça ne bougera pas. Oui il faut prendre conscience de ce qu’est l’âgisme et du sexisme à l’œuvre dans le secteur. Il faut revaloriser l’ensemble des carrières et des métiers, même s’il y a un début, c’est incontestable. Et puis il faut respecter ces femmes et ces quelques hommes pour tout ce qu’elles et ils font.
David Djaiz
Le vieillissement de la population c’est un peu comme le réchauffement climatique ; c’est un phénomène majeur qui va toucher nos sociétés, qu’on n’a longtemps pas voulu voir. On est aujourd’hui vis-à-vis de du vieillissement dans la position où on était il y a 10 ans vis-à-vis du réchauffement climatique, c’est-à-dire à mi-chemin entre le déni, la tête dans le sable, les demi-mesures. C’est une transition sociétale et de civilisation tellement majeure que des lignes de compte dans la Sécurité sociale, même si c’est nécessaire, n’y suffiront pas ; ce qu’il faut c’est repenser tout un modèle de société.
Ce n’est pas simplement le sujet d’une population qui effectivement vieillit et dont il va falloir s’occuper, il s’agit de réinventer le lien social, le modèle social en se demandant où déplacer le curseur : est-ce que c’est l’État, le marché et la famille ? Et on voit bien qu’aujourd’hui, ces métiers sont tout en bas de l’échelle, complètement déconsidérés, souvent féminisés et en réalité très en-dessous du SMIC parce que c’est souvent des temps partiels c’soit 730 € par mois ; donc ce sont des métiers qu’on ne veut même pas voir en fait. Et tout l’enjeu va être de penser non seulement une meilleure reconnaissance financière et sociale mais également la formation, la montée en compétence, la progression de carrière.
Comment on fait pour que ce secteur devienne un secteur économique viable, enviable, vers lequel on a envie d’aller ?
Michèle Debonneuil
Les besoins des personnes âgées représentent un énorme gisement qui, avec les technologies numériques, si on les utilise bien, peut devenir un énorme secteur de croissance d’une nouvelle consommation de masse, comme l’a été l’automobile.
C’est comme ça qu’on pourra payer les gens davantage, que ces secteurs pourront effectivement avoir une autonomie par rapport à un financement exclusivement issu des aides publiques, qui effectivement doivent exister ; mais pour qu’elles existent, il faut précisément qu’on puisse ponctionner, sur ces activités privées, des impôts pour pouvoir financer l’aide aux personnes qui ne peuvent pas le faire elles-mêmes, ces services de la Silver économie.
Donc la très bonne nouvelle c’est que ce nouveau secteur d’activité, va permettre de développer de nouvelles activités rentables sur « l’être mieux », c’est à dire le développement de la satisfaction de nouveaux besoins. On a la possibilité d’entrevoir une nouvelle forme de croissance avec des nouveaux emplois, de nouvelles activités, qui iront dans le sens d’un développement durable.
C’est très important parce qu’on a là une double satisfaction : à la fois une révolution sociétale à partir de cette prise en compte du vieillissement et la possibilité d’inaugurer de nouveaux secteurs d’activité.
David Djaiz
On a longtemps été dans des économies d’accumulation de consommation de biens manufacturés — la voiture, le réfrigérateur, la machine à laver — les ménages sont plutôt équipés désormais et aujourd’hui, la clé du ressort affectif, c’est mon corps, mes émotions, mon bien-être. Donc je parle d’économie du bien-être, et je dis que ça peut être valoir à la fois pour la transition écologique et pour le vieillissement ; c’est-à-dire une économie qui est centrée sur les expériences de l’individu, sur les relations, et qui implique une forte dimension territoriale. Et les secteurs phares de cette économie, c’est la santé, la Silver économie, l’agriculture durable et l’agroalimentaire, la culture, tout un tas de secteurs, dans lesquels la France, parce qu’elle a des services publics, des infrastructures, est très bonne ; à condition de s’en donner les moyens et d’investir massivement, d’allouer massivement les capitaux publics et privés vers ces filières et vers ces secteurs-là.
Cette économie-là ce n’est pas juste comme on l’a un peu trop vite dit dans les années 2000 une économie de services post-industrielle ; Il y a aussi des composantes industrielles très fortes.
On est dans une économie hybride qui mélange service et relation, et c’est une très bonne chose parce que ça va créer beaucoup d’emplois de qualité et des emplois sédentaires, non-délocalisables, mais c’est un mélange intégrant une composante technique qui suppose des processus industriels qu’on peut imaginer développer en France ou en Europe.
Elise Richard
La priorité, et c’est le nerf de la guerre, c’est d’augmenter les salaires. Parce qu’il y a eu en effet des améliorations depuis la crise, notamment dans le secteur associatif, mais qui ne valent pas ni dans le privé lucratif, ni dans le public. Donc c’est vraiment la priorité. Après, ça ne va évidemment pas suffire. Il faut aussi augmenter, pour justement que ces métiers soient valorisés et que les professionnels aient plus de temps pour bien faire leur travail, les plans d’aide et les enveloppes APA, pour que le temps passé auprès de la personne âgée ne soit pas chronométré. Il y a très souvent une frustration et une inadéquation entre ce que la personne voudrait faire et ce qu’elle peut réellement faire, ce qui génère énormément de frustration et de maltraitance.
Ensuite, il y a tout ce qui est formation Aujourd’hui, comme ce sont des métiers peu valorisés, on recrute des personnes qui n’ont pas forcément d’expérience, ni de diplôme ; mais il faut évidemment les former, proposer des formations obligatoires dès le départ, puis continue tout au long de la carrière pour pouvoir évoluer. Puis, il faut repenser les conditions de travail.
Et la dernière chose, qui se fait sans doute ailleurs, c’est de proposer des temps de partage, de coordination entre équipes, qui soient compris dans le temps de travail rémunéré pour permettre d’échanger sur les situations vécues, les éventuelles difficultés avec tel ou tel bénéficiaire, lutter contre l’isolement. Les auxiliaires de vie sont souvent seules et peuvent souffrir d‘isolement. Donc favoriser le travail en équipe et augmenter les responsabilités.
Pascal Champvert
Être dans le respect’âge, c’est-à-dire dans le respect des gens, c’est précisément penser que c’est eux qui savent ce qui est bon pour eux. Et quand on le fait, on se rend compte qu’ils savent ce qui est bon pour eux. Et c’est aussi extrêmement important pour les salariés, parce que du coup, ça redonne du sens à leur travail.
La question fondamentale, c’est la question du financement. On peut raconter tout ce qu’on veut. Le problème c’est combien d’euros on a pour aller chez une personne pendant une heure ?
Et pour le coup, toutes les organisations qui s’intéressent ou qui travaillent dans le domicile disent toutes la même chose : c’est en gros 30 € de l’heure. Donc c’est clair, à moins de 30 € de l’heure, on ne fera pas, ou alors en continuant à se moquer des professionnels. Donc, si on veut sortir de cette situation où on se moque, et où accessoirement on méprise les salariés, et on maltraite les vieux, si on veut sortir de ce système, il faut le financer.